Les pérégrinations du vinyasa

AYRI (Ashtanga Yoga Research Institut), fut la dénomination donnée par Pattabhi Jois à son centre international de ashtanga yoga. Un nom qui nous place clairement dans la dimension d’apprentissages. La mort du Maître, aura apporté quelques changements mais pas de réels bouleversements.
L’ «ekam inhale» ne résonne plus aussi souvent dans les rues de Gokulam. Il a été transporté en zone industrielle. Sa vibration, un brin métallique, conduit 500 élèves ashtangis du monde vers la voie de Guruji Sharat. L’engouement, grandissant, s’est un peu industrialisé et l’humilité réajustée à d’autres critères. Cependant, la méthode est fondamentalement présente, la foi de ses adeptes ne s’est pas démentie.

En vis à vis, les enseignants certifiés du vieux Maître ne manquent de rappeler leurs implications dans ce succès, dont ils tirent déjà de grands bénéfices. Démarches légitimées par posts interposés dans ce que chacun croit détenir : la vérité. Dans ce contexte quelque peu contradictoire, les pratiquants expérimentés ont fait leur choix. Reste à définir pour le débutant la direction de son propre cheminement…


La fin de l’ère Pattabhi et le boom des medias a vu émerger une nuée de personnalités à l’exercice facile pour multiplier les méthodes de développement. Sous l’argument pédagogique sont apparus de nouveaux modes d’apprentissages. Les tutoriels de sauts, équilibres, ponts, nourrissent nos illusions et font la fortune de ces performeurs en quête de gloire. Repris et copiés dans les workshops, pour la plus grande ambition de l’aspirant yogi.
«Do your practice», reste la doctrine des disciples de Pattabhi Jois. Sa technique de transmission, basée sur une évolution posture par posture, vinyasa par vinyasa, correspond-elle à nos nouvelles dynamiques ? La pratique du ashtanga vinyasa, réputée pour sa rigueur, peut provoquer bien des tiraillements : entre l’installation d’une posture, sa transition et la finalisation des séries, comment trouver le juste effort ?


Les séries sont énumérées 1, 2, 3… Nous prenons vite conscience du long processus routinier de la première mais l’intermédiaire est en visée. L’humilité, pour se détacher – intention à laquelle tout yogi semble s’attacher – se désuni à l’approche des premières prouesses à réaliser. L’imaginaire lui, a déjà érigé ses fondations, mais le corps, ne suit pas. Inutile de s‘alarmer, il est toujours possible de télécharger un « tuto », cela précipitera la tenue du vinyasa «sapta» (septième vinyasa les sauts). Décomplexé, avec toute la panoplie hand stand presque là. Pourtant cela paraissait si simple sur «Insta». Des jours, des mois sur une répétition forcée, yogi s’éloigne de chikitsa (série 1 – la purification), l’allégresse est à ressembler aux stars du ashtanga. Dérive en «Soi» pour seulement un vinyasa.

Peut être qu’un jour cela viendra, muscles tétanisés, bandas à bout de bras, sans verrou nadi sodhana (série 2 – purification des canaux énergétiques) nous y sommes déjà. Ainsi se limite vinyasa à quelques suryanamaskars (salutations au soleil) puis exercices préparatoires pour des générations crédules aux likes et commentaires faussés. Libérés de l’emprise de ce triste monde conditionné, les drishtis tournés vers l’écran «drop back» dans le même élan. Chikitsa allié du Soi, la transformation s’opérera à l’acquisition du vinyasa bakasana.

Pas de jugement, ni de nostalgie. A l’origine de cette créativité il est nécessaire d’y associer ces apprentissages longuement répétés par ceux dont les réalisations paraissent instantanées.
L’exercice routinier du krama (technique évolutive ), dont l’objectif s’inscrit en ekagrata (fixation de la concentration) ne se limite pas à un mouvement du corps et de respiration ni à sapta ou chatuari. Mais à une énergie globale dont le vinyasa serait l’apaja japa (So Ham, mantra) support à l’état de méditation. L’acquisition des postures, à juste mesure de ses capacités exempte de toute projection, l’esprit s’allège. Santosha (le contentement) de ce qui est présent, toute charge mentale éliminée, buddhi (facultés intellectuelles ) suggère au corps la possibilité de s’élever.

Naturellement, le processus est long et chacun évolue à son rythme, confronté à ses écueils, ses réussites, ses peines et ses joies. Ainsi, yogi chemine sur la sadhana. L’égarement vers quelques raccourcis imaginaires ou nécessaires est alors l’expression sincère de notre démarche dans le yoga.

« yoga is mind control »
Pattabhi Jois


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